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Appel : Émotion et pratiques artistiques contemporaines (CREM)
Appel à communication
La mise en récit de l’émotion dans les pratiques artistiques contemporaines, Université de Lorraine – Centre de Recherche sur les médiations (CREM), 21 novembre 2019.
Organisatrices : Ophélie Naessens et Anne-Laure Vernet
La seconde moitié du XXe siècle a été marquée par une primauté de l’intellect et du concept dans les œuvres, le privilège d’une posture distanciée et critique chez les artistes. Depuis la modernité en effet, l’affect demeure un motif discret, sinon communément discrédité dans le contexte des pratiques artistiques savantes. Artistes et théoriciens ont depuis lors fait preuve d’une méfiance radicale à l’égard des émotions, minimisant voire récusant totalement le rôle de celles-ci dans l’appréciation des œuvres. Le discours critique sur l’art tend ainsi à éviter soigneusement la question de l’émotion, lorsque celle-ci n’est pas l’objet de la suspicion ou du cynisme. Pour certains auteurs en effet, le plaisir émotionnel associe l’expérience esthétique au divertissement (Theodor W. Adorno), aux dépens de l’émancipation du spectateur. Les œuvres aux prises avec l’affect sont tour à tour pensées comme confinant au pathos, associées au domaine de la sensiblerie, à laquelle est communément associée une faiblesse de contenu. En outre, c’est parfois la forme matérielle des œuvres « affectées » qui est condamnée, face aux épanchements émotionnels mis en scène, tels des écoulements de l’intime dans la sphère publique relevant de la manie du « sale petit secret » (Gilles Deleuze). De plus, les pièces convoquant les émotions de l’artiste ont fréquemment été considérées comme risquant la clôture autarcique sur soi, interdisant la possibilité d’une articulation dialectique de l’intériorité de l’artiste avec le monde extérieur. Paradoxalement, ce rejet des émotions dans l’appréciation savante des œuvres d’art s’accompagne d’une recrudescence de leur exploitation dans les médias de masse ; l’apparition d’un « marché aux pleurs » (Georges Didi-Huberman), correspondant à une exacerbation des sensibilités individuelles dans nos sociétés actuelles. Durant ces dernières décennies en effet, notre société occidentale a vu se déplacer l’intérêt de la collectivité de la dimension publique à des phénomènes appartenant à la sphère de l’intime. Quant à ce déplacement des intérêts vers l'émotion et le repli sur soi, nombre d’auteurs (Elisabeth Lebovici, Dominique Baqué) pointent le fait que les années 1990 seraient marquées par un certain désenchantement accompagnant l’effondrement des idéologies et des métarécits, la crise du politique, le développement exponentiel de la société du spectacle ainsi que l’extrême puissance des nouvelles figures du capitalisme.
Si la résistance à l’émotion demeure forte dans le contexte des analyses critiques de l’art visuel contemporain, nous assistons depuis ces dernières années à un réinvestissement du champ émotionnel par les artistes, tant dans les processus de création, les gestes créateurs, les récits convoqués, les motifs représentés, que dans l’attention vis-à-vis de l’expérience spectatorielle. La scène artistique contemporaine est ainsi marquée par l’émergence de nouvelles stratégies engageant délibérément affects et émotions. Aussi, à travers ces œuvres, l’implication affective de l’artiste – ou d’un participant co-auteur – est perceptible, l’affect devient forme.
Ce « tournant émotif » de l’art contemporain n’est pas passé inaperçu aux yeux de certains critiques ; Catherine Grenier, dans son ouvrage La revanche des émotions (2008), parle à ce sujet d’un passage « du concept à l’affect ». L’historienne de l’art y décrit « des œuvres qui réaniment les forces vives de la tragédie, du drame ou de la comédie », des artistes qui « répondent aux pulsions dépressives de notre temps par une interpellation directe du spectateur ». Aussi, la philosophe Carole Talon-Hugon a entamé depuis le début des années 2000 une reconsidération de « l’émotion poétique » (2004), tandis que Sylvie Coëllier appelle à « réinjecter de la complexité émotionnelle dans l’émotion-réflexe que cherche[nt] » les médias (Des émotions dans l’art aujourd’hui, 2015). De l’autre côté de l’atlantique, Jennifer Doyle, dans son essai intitulé Hold it Against Me (2013), explore les relations entre douleur (pensée comme difficulté et comme obstacle) et émotion dans l’art contemporain, en traitant l’émotion comme un médium artistique en soi.
Dans le cadre de cette journée d’étude, nous choisissons de remettre l’affect au centre du débat artistique et cherchons à réinvestir ses notions à la lumière des pratiques récentes. Il s’agit alors d’analyser ce phénomène en tant que manifestation et signe d’un renouveau de l’expérience artistique et de la pensée esthétique. Les affects désignent un état intérieur chargé d’émotions, et relèvent d’une conduite réactive vécue dans le corps – secousse ou saisissement – ; dans les deux cas, les affects nous transforment. Nous faisons ici l’hypothèse que les pratiques artistiques « affectées » sont susceptibles de nous mettre en mouvement, de nous porter au-delà de nous-mêmes. Si les émotions nous touchent intimement, celles-ci sont également de potentiels moteurs d’une transformation. Comme Georges Didi-Huberman l’a mis en évidence avec l’exposition Soulèvements (Jeu de Paume, 2017), les émotions permettent « le passage de l’affect personnel à l’émoi collectif ». Les communications que nous sollicitons offrirons ainsi des pistes de compréhension sur la manière dont l’art peut potentiellement nous heurter, nous toucher, et, davantage, nous transformer et nourrir notre capacité à influencer le monde. Aussi, cette journée d’étude s’inscrit d’emblée dans une diversité d’approches scientifiques et artistiques à travers la prise en considération des apports théoriques de l’esthétique, de la théorie de l’art, des arts du spectacle, mais aussi de la psychologie et de l’anthropologie.
Il est prévu pour chaque communication une durée de 25mn.
La journée d’étude fera l’objet d’une publication, prévue en 2020.
La proposition de communication – 2000 caractères max., accompagnée d’une brève fiche bio-bibliographique et de 5 mots-clés – est à envoyer avant le 20 août 2019 aux deux adresses simultanément : ophelie.naessens@univ-lorraine.fr et annelaure.vernet.4@gmail.com
Notification de l’acceptation des propositions le 15 septembre 2019.
Organisation :
Le repas de déjeuner sera pris en charge mais ni les voyages, ni les nuitées ne seront pris en charge par l’organisation du colloque.
Comité scientifique : Anne-Laure Vernet (Maîtresse de conférence en Arts plastiques, Université de Lorraine, CREM), Ophélie Naessens (Maîtresse de conférence en Arts plastiques, Université de Lorraine, CREM), Marie-Aimée Lebreton (Maîtresse de conférence en Sciences de l’art, Université de Lorraine, CREM), Bruno Trentini (Maître de conférence en Esthétique, Université de Lorraine, Ecritures EA3476), Lise Lerichomme (Maîtresse de conférence en Arts plastiques, Université de Picardie, CRAE EA4291), Imme Bode, doctorante (Muthesius University of Fine Arts and Design, Kiel, Germany), Dr Tom McGuirk, (Senior Lecturer Fine Art, University of Chester, UK ; Member of the Association of Art Historians (AAH) 2017 ; Fellow of the Higher Education Academy (FHEA) (UK) 2014 ; Member of the Scientific Board for CIPED: The International Congress of Research in Design, held at Fundacao Calouste Gulbenkian, Lisbon, October 10-12, 2011), Maggie Jackson (Honorary Research Fellow University of Chester, UK).
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